
Le festival New Trad, deuxième édition, est un nouveau repère de la musique traditionnelle aventureuse. C’est les amis de La Berge et de Zam Zam qui l’organisent. Je les remercie de m’inviter vendredi 09 mai, à partir de 11h, au bistrot Archimède, à Saint-Aignan-sur-Cher, pour jouer un combo de musique traditionnelle, de musique électronique et d’expérimentations diverses.
Je suis ravi de pouvoir faire un set dans cet axe-là, qui me semble être dans l’esprit de ce que le New Fest essaie de véhiculer : une rencontre a priori pas évidente mais au final très sensée entre sauvegarde de la tradition et promotion de la musique hors-norme.
Plusieurs pensées me viennent. D’abord, que la musique traditionnelle, c’est avant tout et depuis toujours une musique qui se vit. Les musiques traditionnelles existent par rapport à leur communauté. Ce sont des musiques anonymes de transmission orale, qui s’apprennent en se fréquentant et en jouant ensemble, qui s’affirment et se réalisent en public, dans l’espace social, où la musique se mêle à la fête et à la danse. Elles sont l’inverse des musiques classiques, écrites, avec leur dimension suprémaciste, leur quête d’absolu, leur célébration du génie individuel, leurs codes d’un public qui se tait et ne bouge pas. En cela, la musique expérimentale, qui s’est ces dernières décennies construites en opposition au dogme classique, a plus d’une chose à voir avec la musique traditionnelle. Petite parenthèse technique : on fait rarement la distinction entre musique expérimentale et d’avant-garde, mais il le faudrait pour se faciliter la compréhension – la musique d’avant-garde s’inscrit comme une réforme potentielle ou une évolution possible de la musique dominante, c’est une approche avant tout théorique ; la musique expérimentale, elle, cherche plutôt à revenir à une pratique brute de la musique, qui se vit sur l’instant autant du côté du praticien que de l’auditeur. Évidemment, tout ça est schématique, parce qu’on peut bien sûr à la fois avoir une prétention d’avant-garde et une approche expérimentale, mais l’idée est d’accentuer ceci : la musique expérimentale, c’est une musique centrée ce qui se passe et se transmet quand un ou des musiciens jouent. La finalité ne peut pas être que sa partition soit reconnue, étudiée, interprétée et jouée par d’autres comme dans le cadre classique / contemporain ou figé sur un format physique ou numérique pour les musiques actuelles et populaires. C’est là que l’expérimentation rejoint la tradition, si l’on voit la tradition comme la musique d’avant l’enregistrement et la diffusion généralisée de musique, d’avant et d’à côté l’institutionnalisation du talent individuel et la hiérarchisation des compétences.
Le New Fest a parfaitement saisi cette convergence entre les deux, en mêlant des formes musicales inhabituelles, parfois rêches mais toujours immersives et centrées sur l’ici et maintenant, avec cette approche inclusive et partageuse de la musique traditionnelle : bal, déambulations citadines, contes et danses pour toutes les générations, mélodies du plaisir et du souvenir.
Qui plus est, je n’en ai pas parlé, mais j’espère arriver à le mettre un petit peu en musique le 09 mai prochain, il y a entre musiques traditionnelles (de tous pays) et musique expérimentale un autre point de rencontre par rapport aux musiques classiques et populaires (qui ne sont bien souvent que des formes extrêmement dégradées du classique) : l’importance capitale des timbres, des rythmes, des répétitions ou des abstractions par rapport à la prééminance classique de l’harmonie, de l’orchestration et de l’arrangement. Ce n’est d’ailleurs que très logique que beaucoup de grands musiciens de rupture (pour le coup à la fois expérimentateurs et avant-gardistes) aient puisé aussi massivement dans la musique traditionnelle : c’est autant le cas pour Stravinsky, que pour John Cage, Steve Reich ou Luciano Berio. Je ne cite que des légendes, mais d’innombrables musiciens actuels font le même chemin de s’émanciper en s’inspirant de gestes et pratiques séculaires. Eh oui, il y a bien d’autres raisons d’écouter des musiques traditionnelles que par nostalgie ou folklorisme bêta.