Je crois que mon dernier « top » remonte à 2016, je l’avais publié sur Playlist Society. Dernier contact je crois avec les classements en tous genres, dernière publication sur Internet de type « blog ». 9 ans plus tard, je replonge la tête dedans : un top albums comme avant et un nouveau blog perso, Anfalas. Entre temps, je me suis complètement déconnecté de l’actualité musicale. J’ai écouté de la musique, plus que jamais à vrai dire, mais en pèlerin solitaire qui ne soucient ni des dates, ni des lieux, ni des avis de qui que soit. Quel délice de faire ça. L’univers de la musique est immense, infini. On n’en fait jamais le tour, on a jamais fini d’être surpris.
Sur les neuf dernières années, j’ai décidé d’arrêter d’écrire sur la musique. Les chroniques d’actualité m’ennuyaient mortellement et je n’avais ni la colonne vertébrale ni les idées claires pour écrire des plus longs formats. Je me suis réfugié dans la musique elle-même . Je me suis passionnée pour la M.A.O., les techniques de composition et de mixage (ce que j’essaie péniblement de mettre à profit dans ma propre pratique de production). J’ai exploré plus profondément le mix dj, le digging de dance music, les différentes façons d’être soi derrière une table de mixage. Avec Manon / Cebe Barnes, on a commencé à faire un podcast ensemble, d’abord en passant juste des morceaux qu’on aimait bien, puis en accueillant parfois des invités et en blablatant dans les studios de Station Station. Et petit à petit, ce que je faisais ces dernières années a aussi touché ses limites. Le digging est devenu tellement compulsif que je jugeais des morceaux en littéralement 10 secondes, avec un taux d’erreur évidement énorme. Je ne prenais plus le temps d’écouter ce que proposait réellement chaque artiste : je circulais trop vite, préférant toujours un nouveau mix sur NTS ou sur Soundcloud à un album que j’avais déjà parcouru rapidement et qui pourtant me plaisait.
J’avais un peu anticipé cette frustration. Depuis plusieurs années je me constitue un dossier « albums préférés » où je reverse chaque album que je découvre et qui me semble bien ainsi qu’au fur et à mesure les vieilles connaissances que j’ai beaucoup écouté par le passé et que j’aime toujours. À vrai dire j’ai très peu utilisé ce dossier jusqu’à l’été dernier. L’été dernier, comme un défi, je n’ai écouté que ça. J’étais loin de chez moi, les habitudes différaient, j’avais du temps (précieux temps qui devient si rare quand on est parent). Et sans surprise, le plaisir du « slow listening » a ressurgi. Eh oui, je le sais depuis longtemps, mais un album, c’est une œuvre à part entière. Écouter une heure complète issue d’une même session d’enregistrement, c’est la possibilité d’approfondir une esthétique, de l’enrichir, d’en multiplier les variations, d’en tester ou d’en dépasser les limites. Aucun autre format ne permet ça. Pour ne pas que ce plaisir retrouvé reste lettre morte, j’ai regardé à nouveau de manière ciblée, pour la première fois depuis presque dix ans, les disques qui sortaient ou étaient sortis récemment. Ce top en est le fruit. Devoir écrire quelques lignes sur chaque album me garantit, pour ne pas dire trop de conneries, de les écouter plusieurs fois. Et les écouter plusieurs fois, c’est se les approprier. Mission accomplie.
20 Einstürzende Neubauten – Rampen (APM: Alien Pop Music) (Potomak)

Dommage pour le parti pris « live » de cet album. Einstürzende Neubauten est un formidable groupe d’improvisateurs, ce n’est pas le soucis (bien au contraire), mais il manque ici la qualité d’enregistrements pour mettre en valeur la qualité sidérante du jeu. L’ambiance ? Un orage en plein urbex où l’on attend mélancoliquement que la pluie cesse.
19 Joseph Shabason, Matthew Sage, and Nicholas Krgovich – S/T (Idée fixe)

L’album pop dont je ne me suis pas lassé cette année (je me lasse très vite de la pop, je me lasse souvent même d’un morceau que j’écoute pour la première fois avant le deuxième refrain). Il y a là une lointaine parenté avec Sufjan Stevens (Carrie & Lowell), Destroyer ou The War on Drugs, mais ici uniquement dans le registre de la lenteur, de la douceur sans concession. On reste dans un songwriting classique, mais avec un étirement du temps, une variété d’arrangements clairsemés (bidouillages électroniques, cool jazz, post-rock) qui rappelle la méthode Mark Hollis (sans jamais en atteindre les sommets). Attachant.
18 Rian Treanor with Rotherham Sight & Sound – Action Potential (Electronic Music Club)

Là on est très manifestement dans le dur à écouter. Rian Treanor, fils de Mark Fell, expert en séquençage expérimentale et synthèse additive, intervient pendant plusieurs années dans un espace d’accueil pour personnes non et malvoyantes. Il y anime des ateliers avec des bénéficiaires souvent âgés et sans connaissance particulière de la musique. Action Potential est un recueil de leurs travaux, entre musique brute (pour le côté les amateurs aux manettes) et pures explorations rythmiques et timbrales (notamment avec des leads additifs futuristes très dissonants). Est-ce que c’est un grand plaisir à écouter ? Je ne dirais pas ça, non. Mais l’expérience est marquante.
17 Senyawa – Vajranala (The State51 Conspiracy)

Senyawa est un duo indonesien qui explore le folklore et mythologie nationale à travers une musique expérimentale faite de drones inquiétants, d’instruments traditionnels modifiés et électrifiés et de techniques vocales diverses. Vajranala ressort pour moi comme leur album le plus accessible… si on le considère comme un album de noise-rock, ou de sludge-metal exécuté par une sorte de Mike Patton sud-asiatique. Voilà, il faut un peu de culture noise ou metal pour saisir la limpidité de Vajranala. Mais si c’est le cas, on y découvre un bel album très efficace, d’une noirceur forcément originale.
16 Skee Mask – Resort (Ilian Tape) / Skee Mask – SS010 (Ilian Tape)


Je suis toujours un peu ambivalent vis-à-vis de Skee Mask. D’un côté, je trouve qu’il s’agit simplement du meilleur compositeur électronique de sa génération. La qualité de sa production est hallucinante : qu’il veuille faire des nappes ambiantes, des grooves frénétiques de Jackin’ House, des bizarreries salaces post-bass, des breaks, des accords dub, tout sonne exactement comme ça devrait. C’est presque écœurant quand on est soi-même producteur. Skee Mask est surdoué, il sait tout faire : des tracks classiques qui captivent par leur perfection, des albums qui sont pensés pour ce qu’ils sont (c’est-à-dire des œuvres complètes qui sont plus que la somme de leurs parties), des titres futuristes qui font avancer le schmilblick et cassent des dancefloors. Rien n’est hors de sa portée. Et pourtant, je crois que je ne suis touché par aucune de ses inclinations récentes. Ni celle vers l’IDM fin 90’s à l’œuvre sur Resort, ni vers la tech-house qui est plutôt ce qu’on retrouve sur SS010. Simple question de sensibilité personnelle. J’écoute sans passion mais avec une admiration certaine.
15 Julia Holter – Something In The Room She Moves (Domino) / Tashi Wada – What Is Not Strange ? (RVNG Intl.)


Comme toujours chez Julia Holter, il faut écouter, encore et encore pour s’habituer (ou se réhabituer) aux caractéristiques de sa pop languissante aux orchestrations presque ringardes. Et puis le charme finit par opérer, les richesses émergent, la délicatesse affleure. Something In The Room She Moves est aussi bon que ses prédécesseurs, et je pèse mes mots (Loud City Songs avaient été en 2013 mon album préféré).
Équipe un peu similaire chez Tashi Wada, collaborateur sur l’album de Holter et qui, sur son album à lui, l’invite à son tour à chanter sur presque tous les morceaux. L’arrangement est moins fourni, moins parfaitement détaillé, mais le champ exploré plus vaste. La pop germe sur des terres de drone, de microtonalité et d’instruments anciens trafiqués. À écouter une fois l’album-mère épuisé.
14 Nídia & Valentina – Estradas (Latency)

La percussionniste Valentina Magaletti a en 2024 été partout, mais comme un caméléon : je suis incapable de définir son style, mais partout où elle passe elle apporte de la profondeur rythmique à ses collaborateurs. Est-ce que ça suffit ? Pas toujours à mon sens. Le disque de Moin avec Raime est je trouve un peu statique et ennuyeux (sans groove, pour le coup). Le disque de son groupe Holy Tongue avec Shackleton aussi, il ne s’y passe pas grand-chose de fou alors que j’étais a priori très excité par le projet. Sur Estradas, avec une des surdouées de l’inratable label portugais Príncipe, ça se passe néanmoins très bien. Nídia avait déjà ralenti le tempo et colorisé son kuduro sur ses dernières sorties (sans réellement me convaincre), elle poursuit ici dans cette voie-là et Magaletti apporte précisément ce qu’il lui fallait : un peu de chaleur acoustique et un groove mieux humanisé. Estradas sort en décembre mais évoque un bon disque d’été, simple et fédérateur sans être inconsistant. Très chouette album.
13 Amaro Feritas – Y.Y (Psychic Hotline)

Nourri de souvenirs d’un voyage à Manaus, porte d’entrée vers la forêt Amazonienne et impressionnant lieu de naissance du fleuve Amazone (même sur Google Street ça en jette), Y.Y est un disque de piano mouvant, entre polyrythmies indigènes, jazz moderne kaléidoscopique façon Chicago et romantisme Keith-Jarrettien. Une écoute riche, accessible, qui ne sonne jamais hors propos.
12 Lord Spikeheart – The Adept (Haekalu Records)

Lord Spikeheart est une moitié du Duma, duo d’une originalité rare basé à Nairobi, Nigeria. En solo (ou du moins en band leader vu le nombre d’invités), Lord Spikeheart s’éloigne de l’esthétique lo-fi erratique de Duma en gardant les mêmes ingrédients de base : power noise, metal extrême, trap. On se rapproche ici des agressions jusqu’au-boutistes d’Alec Empire (Atari Teenage Riot) ou d’une réinterprétation adolescente de Justin K. Broadrick. Particulièrement sauvage.
11 Moor Mother – The Great Bailout (Anti-)

Moor Mother continue disque après disque à explorer toutes les facettes de l’art post-colonial, et celui-là n’est pas un des moins bons. Entre spoken word révolté et harmonies soulful, sa voix s’impose au-devant de fresques abstraites d’apparence monolithiques, mais absolument passionnantes quand on en écoute tous les détails et toute la musicalité. Il faut dire que le backing band est lui-même constitué d’artistes majeurs (Saint Abdullah, Aaron Dilloway, Maja Ratkje, Mary Lattimore, Vijay Iyer) dont on prend beaucoup plaisir à disséquer chaque intervention.
10 Monolake – Studio (Imbalance Computer Music)

Le douzième album de Monolake ne restera certainement pas comme le plus marquant ou le plus original du projet et ça ne m’importe que peu. J’ai toujours trouvé que le caractère innovant, visionnaire ou expérimental de Monolake était un peu surévalué. La musique de Robert Henke est riche, certes, singulière à n’en pas douter, mais plus influencé par les avant-gardes qu’avant-gardiste elle-même. Ce n’est pas un problème, comme ici sur Studio, pour lequel Henke, sur son site, dévoile longuement le process : le même matériel que depuis des années, qu’il connaît par cœur, des morceaux anciens retravaillés jusqu’à ce qu’ils collent aux attentes du moment, une approche lente de la maturation de l’album… Henke, ici, c’est la plénitude d’un musicien qui sait ce qu’il est, ce qu’il aime, et qui apprécie prendre du temps pour développer des objets sonores pour lequel il est particulièrement doué. Studio est ainsi un album à l’ambiance rétrofuturiste, qui concilie matériel vintage et outil informatique devenu conventionnel (Ableton Operator, synthé FM qui a fêté ses 20 ans en 2024). Pas de brusquerie, Henke cherche surtout à composer de bons titres, et il y parvient avec une grande facilité et une jolie tonalité lyrique. On retrouve des patterns rythmiques chargés mais toujours lisibles, des effets spéciaux mouvants sans être désorientants et une alternance de blocs abstraits et de séquences plus deep ou mélodiques. C’est profond, vibrant et merveilleusement bâti. Vivement le prochain.
9 Nala Sinephro – Endlessness (Warp) / Black Decelerant – Reflections Vol. 2 (RVNG Intl.)


Deux superbes albums d’ambient-jazz tout en délicatesse. Grande précision des timbres et de l’harmonie. Ça fait partie des disques dont on a grand-chose à penser ou à dire, mais qui font toujours plaisir à entendre. J’insiste : c’est vraiment très beau.
8 Colin Stetson – The Love It Took To Leave You (Invada Records UK)

Colin Stetson est un des grands musiciens de cette planète : un son qu’on reconnaît entre mille en quelques secondes, une capacité folle à remplir l’espace sonore. À vrai dire on peut considérer qu’il est un groupe à lui tout seul : son saxo, ses effets de souffle et de gorge et les claquements et sonorités mécaniques de l’instrument agissent de manière indépendante, et l’utilisation d’un looper permet d’en démultiplier les lignes. C’est du minimalisme maximaliste, qui tape fort et scotche au mur. Et puis, on ne le dit pas assez, mais Stetson est aussi un grand compositeur. Ce n’a jamais été aussi évident que sur ce dernier, plus sombre, tourmenté et rituel que jamais.
7 Aeson Zervas – Self Titled (HEAT CRIMES)

Hypnogogic-rébétiko : voilà un nouveau genre musical qu’on ne connaissait pas. Mais je ne sais pas si d’autres le font ou à l’avenir le feront un jour. C’est tellement spécifique : des plunderphonics ou dub versions de chansons grecques. Ça plane fort et c’est très satisfaisant.
6 Florian T M Zeisig – Planet INC (Stroom) / Angel R – Mossed Capable Of Being Observant (Enmossed)


Florian T M Zeisig est responsable de certains des plus beaux pads que j’ai eu l’occasion d’entendre, notamment sur le formidable Music For Parents (2021). En 2024 il est revenu avec deux albums, dont un sous le pseudo Angel R. Deux occasions d’écouter l’un des soundscapists les plus sensibles du circuit. Encore une fois des accords tenus d’une beauté et d’une ampleur admirables, de lointains échos dub techno, chill out ou même Vaporwave (Planet Inc est un hommage à Space Night, une émission de télévision allemande devenue culte pour les ravers où étaient diffusées des images spatiales sur de la musique électronique). Rien ici n’a pas été entendu ailleurs, mais l’expressivité de la musique de Zeisig l’emporte sur tout le reste.
5 CS + Kreme – The Butterfly Drinks The Tears of The Tortoise (The Trilogy Tapes)

Peu d’écoute sur les plateformes, presque aucun article de presse spécialisée hormis sur The Quietus ; même The Wire ne calcule pas CS + Kreme alors que la musique du duo australien semble destinée à être un de ses chouchous. Troisième grand album en 6 ans, qui plus est sur un label pas dégueu (The Trilogy Tapes), mais un public toujours aussi confidentiel. Je suis étonné. The Butterfly Drinks The Tears of The Tortoise est encore une fois un grand disque, extrêmement érudit, qui a besoin de temps et d’écoutes répétées pour épuiser toutes ses ressources. Sur celui-ci plus que sur les autres, le folk prend du galon : les premières secondes du disque évoquent clairement Death In June, plus loin brièvement à Arthur Russel, parfois encore à Current 93 et son approche médiévaliste. Le folk domine, mais les autres marqueurs de CS + Kreme n’ont pas disparu, notamment le jazz et la musique électronique : glitch, minimalisme, electronica. Loin d’appliquer une formule, même complexe, le duo s’aventure toujours ailleurs. La deuxième partie de l’album, assez surréaliste, est à conseiller aux fans d’Oneohtrix Point Never (qui eux, curieusement, sont très nombreux).
4 Actress – Statik (Smalltown Supersound)

J’ai été peu emballé par le précédent album de Darren Cunningham chez Ninja Tune en 2023, avec son ton légèrement déconneur et son mastering In Your Face façon E.D.M. J’ai de toute façon souvent été déçu par Actress depuis ce qui est à mon sens son meilleur disque, R.I.P. sorti en 2012. Mais avec Statik, la grâce est de retour, avec son Bitcrushing craquelant toutes les boucles, ses samples brumeux, ses rythmiques électroniques faméliques égalisées en retirant presque tout. Parfois on a l’impression d’écouter un album de remix dungeon synth de house des années 90, ou des demos d’Autechre ou Carl Craig rongées par le temps. Superbe ambiance.
3 Oranssi Pazuzu – Muuntautuja (Nuclear Blast)

Chaque année j’écoute une ou plusieurs dizaines d’albums de metal plébiscités et 90% d’entre eux m’ennuient profondément. L’alternance de chants clairs et hurlés, de séquences saturées frontales et de breaks romantiques ou progressifs est une formule que je trouve largement éculée. Le mastering massif et moderne à l’œuvre sur la plupart des disques empêche le plus souvent le mystère de s’installer, le vice des résonances de se faire entendre. Et puis, tous les 3 ou 4 ans, il y a un disque d’Oranssi Pazuzu qui sort. Et à chaque fois je suis sur le cul. Ces Norvégiens sont trop forts. Aucun passéisme chez eux. Dans leur petit théâtre des horreurs, le black metal se transforme en toutes sortes de formules tordues. Toutes les deux minutes un nouvel agencement glauque et un peu drôle survient, impressionne, dérange, étonne. Et ce que je trouve le plus fort est que le déroulé reste toujours captivant. Il n’y jamais trop de psychédélisme, trop de technique, trop de bruit à un point qui rendrait l’ensemble cryptique et usant. Ils maîtrisent leur art à un degré que j’ai rarement connu.
2 Shovel Dance Collective – The Shovel Dance (American Dreams)

Dans la veine Trad qui saute à pieds joints dans l’expérimental, le Shovel Dance Collective est immanquable. Moins déroutant que leur premier album The Water Is The Shovel of The Shore, The Shovel Dance offre une expérience plus frontale et maîtrisée : folklore ancien bouleversant avec ce supplément d’intelligence, de grandeur avant-gardiste et de conscience politique qui le rend inépuisable.
1 Rafael Toral – Spectral Evolution (Moikai)

Album de l’année sans aucun doute pour moi. Rafael Toral est un expert du drone guitare depuis les années 90. Il vient de passer une dizaine d’année à explorer l’improvisation électronique live en compagnie de musiciens de free jazz. Il a repris sa guitare récemment. Ça élucide certains petits mystères, ça ouvre des hypothèses, mais ce background ne laisse pourtant aucunement présager l’arrivée impromptue d’un tel chef d’œuvre. Spectral Evolution est un monde à part, qui n’a rien à voir avec ce qu’a produit Toral précédemment (bien qu’on y trouve forcément des traces), et qui n’a rien à voir avec rien d’autre. Je ne sais pas du tout ce qu’on écoute, je ne sais pas comment le décrire. Du jazz orchestral façon Gerschwin ou du minimalisme façon Gavin Bryars modifié par des outils de traitement spectral (d’où le titre ?), augmenté de chants d’oiseaux numériques, d’instruments électroniques inventés, de solos de guitare électrique, d’arpèges ambient post-rock, de collines vierges synthétiques. Le seul musicien à qui ce travail me fait penser est l’admirable compositeur d’avant-garde Akira Rabelais et son approche sonore du réalisme magique. Mais le travail de Rabelais, aussi subtil et fascinant soit-il, n’a pas la moitié de l’ampleur de Spectral Evolution, qui, outre sa singularité absolue, se démarque par le génie de sa composition : son morceau unique en douze mouvements se déploie avec l’évidence des plus grandes ouvres, son jeu complexe autour de suites d’accords striés d’éléments d’instabilité touche étrangement autant le cœur que l’esprit. Pour une musique aussi raffinée, dont l’intelligence ruisselle de partout, je suis abasourdi par la simplicité, la luminosité et la gaieté qui s’en dégage.